En 1924, je reçus une lettre sur l’enveloppe de laquelle on lisait "Comte de Roüalle, Maître d’Equipage". J’en étais tout fier et me demandais avec curiosité ce que me voulait le Baron de Ponnat. ll me demandait avec insistance et une grande simplicité de créer avec moi un équipage de chevreuil. Vous pensez à ma joie, car c’est ce que je désirais le plus. Après de nombreux échanges de vues, je vis qu’il me fallait trouver des chiens dans la voie de cet animal. J’en parlais à mon cher Robert de Thoury, avec qui j’étais associé depuis deux ans, et qui avait été Maître d’un bon équipage de chevreuil.
A cette époque les chiens étaient rares, tout le monde en cherchait, et la vènerie entière s’était remontée par l’élevage. Les quelques chiens du Rallye-La-Haut, ancien équipage de M. Martin qui existait avant 1914, étaient très bons. Ils chassaient en forêt de Clessy et de Lamothe, deux massifs limitrophes, durs comme territoire et très vifs en chevreuils.
Nous étions convenus, avec Ponnat, que nous chasserions la moitié du temps dans la Nièvre, et l’autre moitié en Saône-et-Loire. Ponnat avait le territoire et au moins 25 chiens ; moi-même, je n’avais rien ! C’était simple. Les accords entre Henri et moi tinrent dans une simple lettre ; ils valaient pour une durée de trois ans. Je me mis alors en quête de trouver 25 chiens, des bois et un piqueux. ll fallait vraiment de l’audace et de la volonté pour faire tout cela.
J’avais une première activité, mes affaires, et une grosse ferme en métayage ; avec tout le monde que je connaissais, cela me faisait déjà beaucoup d’occupations.
La première personne que je rencontrais fut M. Beauchamp. Avec sa grande amabilité, il me conseilla son espèce de chiens. J’y songeais déjà d’ailleurs depuis longtemps, car je connaissais la célébrité de son équipage.
Après de longues réflexions, je me jetai à l’eau et commençai avec activité l’organisation de tout ce gros travail.
Bessaguet m’avait quitté car sa femme s’ennuyait dans la Nièvre et voulait rentrer en Poitou. C’était un bon piqueux, que j’ai beaucoup regretté. ll avait en effet des qualités de soigneur et il était assez bon en chasse. ll fallait donc trouver un homme. C’était difficile. Comme pour le premier, j’ai cherché ! J‘ai eu plusieurs demandes, mais elles venaient de gens trop vieux, et j’avais sur eux de mauvais renseignements, au point de vue moral, comme soigneurs ou activité de chasse. Tout cela a duré un certain temps, mais je me suis aperçu, par la suite, que je m’étais encore trop pressé.
ll y avait Pied Léger (on me disait en effet que Marne voulait démonter, mais cela n’était pas exact). J’hésitais donc à la fin entre un certain Lebrisée et un autre qui me paraissait un très brave homme. ll avait dû boire, d’après ce qu’on m’avait dit, mais il s’était assagi. ll s‘agissait de Lafeuille ; il sortait de grands équipages et avait quitté, comme second, le Vautrait Dorlodot au moment de sa mise bas ; les renseignements que j’avais sur lui étaient plutôt bons. A l’usage, je me rendis compte que Lafeuille avait d’excellentes manières, était très stylé, d’une très bonne tenue sur lui, et que ses chiens étaient en excellent état, très propres, bien sous le fouet. Bon soigneur, faisant bien le bois, il chassait à peu près correctement, mais ce n’était pas un crack.
ll était lent à prendre ses décisions, il ne descendait jamais de cheval pour chercher un vol-ce-lest, ou ouvrir une barrière, ce qui n’est pas très bien pour un piqueux. Je faisais avec lui ce que je voulais, et on prenait rarement quand je n’étais pas là.
Si j’avais eu en 1924, les connaissances que j’ai aujourd’hui, il est probable que les chasses auraient mieux marché.
J‘ai su par la suite que, malgré les efforts de sa femme, il "picolait" encore ; mais il buvait surtout le soir après son dîner, et tenait fort bien le jour, surtout les jours où il chassait. En somme, Lafeuille fit mon affaire pendant quelques années.
ll fallait assez vite trouver des chiens. Ayant choisi, une fois pour toutes et pour toujours, les blancs et noirs de M. Beauchamp, je m’adressai à lui et lui demandai de me céder trois jeunes et quatre ou cinq vieux ; M. René Clayeux m’a vendu un vieux chien mais excellent "Mirliton".
J’en avais trouvé quelques autres à droite et à gauche, et j’arrivais à environ 20 chiens, ce qui me suffisait avec ceux que Ponnat rentrait à l’Equipage. Nous allions avoir 40 chiens et nous pourrions commencer.
Je savais que les forêts que Ponnat avait louées étaient très agréables, du moins Clessy ; la Mothe était un peu plus dure et moins vive en chevreuils. Les parcours étaient donc beaucoup plus beaux. En revanche, ce que j’allais avoir de mon côté était bien pauvre et je craignais, surtout en début de saison, de faire bien souvent des buissons creux. J’avais dans les bois de Limanton peut-être deux attaques, au Bois Fort quatre ou cinq, chez Robert de Thoury deux ou trois, également à Saulière, chez Richard de Saint-Maur, deux ou trois. J’avais loué au Duc de Fitz-James 1000 hectares dans les bois de Vaux ; c’était mon principal massif ; on m’avait dit qu’il y avait là deux attaques possibles.
J’espérais trouver des chevreuils chez des voisins, tels qu’à Vandenesse au Comte de La Roche-Aymon, à Mary aux du Martray.
Tous ces espoirs étaient bien ténus et je me demandais si je n’allais pas manquer d’animaux ! Mais, à la grâce de Saint Hubert…
Jean de Roüalle († 1973)