81-82 : sur les chiens de vènerie

EN HOMMAGE AU FONDATEUR DE L’ÉQUIPAGE

QUALITÉS ET DÉFAUTS DES CHIENS DE VÉNERIE

par Jean de ROUALLE († 1973)

ll est difficile de traiter en quelques pages un sujet aussi vaste et aussi complet. C’est une étude inépuisable, qui pourrait donner matière à un livre.

Certains grands veneurs ont des idées très arrêtées sur le comportement bon ou mauvais d’un chien ; s’ils sont d’accord sur les qualités primordiales ou les défauts graves, ils peuvent trouver acceptable ce que d’autres trouvent impossible.

Je vais essayer modestement de dire en quelques mots ce que je pense être indispensable ou utile pour qualifier un chien bon ou le juger quelconque, mauvais ou nuisible. Suivant l’animal que I’on chasse et le pays où l’on découple, les données changent. On croit souvent qu’un chien ne peut chasser qu’un même animal et doit être créé pour un pays, alors qu’un bon chien est bon partout et doit réussir sur n’importe quel territoire en s’habituant à y chasser, sauf peut-être une exception pour le chien de lièvre.

ll faut d’abord se décider pour une race de chiens de vènerie et lorsque le choix est fait, chercher la famille où des croisements sérieux, continus et cohérents auront été pratiqués. Cette question est capitale pour créer une bonne meute.

Les chiens ainsi trouvés devront être élevés dans des chenils sains, ensoleillés, bien construits ; il y faut de grandes cours d’ébats, bien exposées, avec des sols cimentés et sablés.

La formation des chiots est très importante ; la nourriture doit être bien surveillée et donnée judicieusement ; on doit ajouter à une soupe équilibrée les condiments minéraux complets qui permettront une bonne formation de l’ossature et une harmonie de la santé et des formes. Un chien bien construit, avec d’excellents aplombs, si l’on s’occupe de lui pour sa santé morale et physique, doit bien partir dans sa vie de chien ; ces questions, peu étudiées et encore moins appliquées, sont d’une grande importance pour l’avenir du jeune chien, avant son entrée en meute.

Le dressage des jeunes pendant la période de I’été est aussi très important et on doit y apporter tous ses soins. C’est à ce moment qu’il faut leur donner des habitudes de docilité, de soumission et d’obéissance qu’ils garderont toute leur vie. Ce dressage avant les chasses permet d’avoir sous le fouet, au moment de l’ouverture, une meute facilement maniable, ce qui arrange bien les choses dans les difficultés du courre. ll faudrait pouvoir élever beaucoup de jeunes de familles sélectionnées et choisir les plus beaux pour les garder.

Je crois beaucoup à la loi des grands nombres dans l’élevage pour trouver les qualités désirées. Malgré tous les efforts déployés pour essayer d’obtenir les sujets que l’on veut, il est bien certain que I’on a tout de même beaucoup de déboires et c’est en persévérant que l’on pourra espérer obtenir de bons chiens moyens.

Les qualités physiques et morales qu’il faut trouver chez un chien de vénerie sont, en effet, nombreuses, mais je pense que, dans l’ordre, il faut essayer qu’il ait d’abord l’amour de la chasse poussé au plus haut degré et la finesse de nez. Avec ces deux qualités, il aura toujours en chasse des ressources et malgré les ennuis que peut faire un chien très chasseur et fin de nez, on peut espérer redresser des situations désespérées.

Il est indispensable qu’un chien soit très gorgé ; c’est un des plus grands plaisirs de la chasse à courre d’entendre des chiens très criants et cela leur permet de mieux se rallier ; cette qualité est héréditaire, il faut donc y faire attention dans les croisements et essayer de l’augmenter sans cesse.

ll y a aussi Ia sagesse et le perçant dans le change ; « le chien vaincu est convaincu » selon I’excellente trouvaille du Marquis d’Armaillé. Pour cela, que de temps, de nuances, il faudrait pour bien se faire comprendre ! Incontestablement le chien dit de « change » parce qu’il ne change pas d’animal est étudié, travaillé et croisé depuis longtemps ; probablement depuis le règne de Louis XV, où la grande densité d’animaux dans les forêts de Ia Couronne a amené les veneurs de l’époque, en particulier le célèbre d’Yauville, à songer à la nécessité d’élever surtout des sujets issus de parents de change.

Cette curieuse qualité qui amène le chien à reconnaître son animal de chasse, non seulement au milieu des animaux frais, ce qui est relativement facile, mais même parmi des animaux échauffés à différents degrés, provoque souvent de grandes difficultés au Maître d’Equipage.

Suivant les variations du temps, un chien de change chassera et un autre, également de change, ne chassera pas ; le même chien qui a chassé pourra ne plus chasser un quart d’heure plus tard dans une autre circonstance. ll est passionnant d’examiner le comportement de ces chiens dans les forêts très vives : leur passion, leur hésitation, leur manière d’agir et même la façon avec laquelle ils voient leurs camarades travailler, celle dont ils vous regardent, mettent souvent Maître et piqueurs dans un cruel embarras pour interpréter ce qu’ils font et agir en conséquence. Les réactions olfactives et psychologiques des chiens de change sont bien curieuses à étudier. Les veneurs qui ont d’abord des chiens de change et qui arrivent à avoir des chiens perçants dans le change ont beaucoup de chance ; ils doivent s’évertuer à ne jamais les tromper.

Le bon chien doit être droit dans sa voie, requérant, entreprenant, travailler vite son défaut, ne pas être trop collé sur place et par de grands cercles, retrouver rapidement la voie perdue.

Je me souviens de mon excellent « Jéricho », certainement le meilleur chien que j’aie possédé ; il était à peu près complet.

Un jour, nous étions en défaut dans une coupe de trois ans, des chevreuils de change venaient de se livrer, des cavaliers, comme trop souvent, en se promenant dans l’enceinte, avaient foulé la voie, les jeunes chiens faisaient des bêtises et pour comble, notre anima ! était forlongé. Le chien avait l’habitude de travailler d’abord son défaut par la voie et sur place, mais gêné par les cavaliers, je me souviens encore très nettement de ce qu’il fit : il s’arrêta un moment, regarda son piqueux en fouillant, réfléchit quelques secondes et partit au galop dans une direction imprévue ; je me rendis compte qu’il avait pris une décision et que pour relever son défaut, il prenait le vent ; tout à coup, à quelques 800 m de Ià, j’entendis sa magnifique gorge et en quelques instants tous les chiens qui requêtaient de leur côté l’avaient rallié et notre chevreuil, relancé, était pris en peu de temps.

ll faut que les chiens soient ralliants et lorsqu’à la chasse du lièvre, mais surtout à celle du chevreuil, ils ont compris qu’il faut couper les doubles par la voie et non par les ailes, on gagne un temps énorme ; en effet, quand une meute s’est rendue compte, lorsque la voie est brusquement plus forte, que c’est probablement grâce à un retour de chevreuil par sa voie et qu’il ne faut donc pas aller au bout de la double mais chercher le décrochement, on gagne un temps précieux jusqu’à l’hallali. ll faut, pour que ce soit correct, que la plupart des chiens aient cette heureuse habitude et alors les jeunes, d’eux-mêmes, tombant à bout de voie rallient à la tête.

Le bon chien est, en général, intelligent, réfléchi, il a bon caractère, est optimiste, il sait se reposer au chenil, mange normalement et aime son maître, en qui il a confiance, à condition que celui-ci ne soit pas injuste au chenil et ne le trompe pas en chasse.

ll faut beaucoup s’occuper du caractère, du comportement, de la vie de sa meute, et si j’osais employer ce mot barbare en vènerie, il faudrait soi-même « psychanalyser ses chiens ».

Les défauts, ah ! comme l’homme, les chiens en ont beaucoup et quand ces défauts sont sérieux, il ne faut pas hésiter à réformer impitoyablement tous sujets qui gênent, empêchent ou retardent le succès de l’Equipage. ll faut éviter de garder dans une meute les chiens trop vite ou trop lents, car les uns et les autres sont très gênants. Les chiens pas chasseurs, durs de nez, criants peu ou muets, sont à enlever immédiatement. Certains sont coupeurs, brigands, jaloux et veulent chasser seuls pour mieux profiter de la voie fraîche ; même s’ils crient, ils sont souvent dangereux et bien difficiles à rallier. D’autres ne seront jamais sages et sont bien ennuyeux dans les pays vifs en animaux. ll y en a qui sont musards, collés à Ia voie, bavards ; ceux-là sont détestables et gênent terriblement les bons en leur faisant perdre un temps précieux ; ils laissent l’animal se forlonger et cela se pardonne bien rarement, à la chasse à courre.

Ces mauvais chiens sont, même au chenil et c’est curieux, souvent pleins de défauts.

ll faut se méfier des chiens méchants, rancuniers, sournois, lunatiques, paresseux, peureux. Ah ! les peureux, ne les faire jamais reproduire, ils sont tellement odieux que souvent même on ne peut les approcher ni au chenil, ni en chasse. Le chien craintif transmet presque toujours ses défauts à sa descendance.

S’il est indispensable que les chiens aiment I’homme qui les fait chasser, il est grave qu’une meute n’aime pas ou déteste le Maître ou Ie piqueur qui la sert. Un de mes amis m’a raconté une anecdote amusante et que je trouve typique : un excellent veneur de chevreuil chassant avant 1939 dans I’lndre avait un très bon équipage et réussissait fort bien. ll achète un jour un équipage entier et le fait chasser seul, ne voulant pas que cet apport nouveau gêne le sien. Au bout de plusieurs semaines, ces chiens achetés chassaient mal et ne prenaient pas. Un soir de chasse, désolé et furieux de sonner encore une retraite manquée, il se tourne vers un de ses boutons et lui dit : « Je vois bien que je ne ferai jamais rien de ces chiens, ils ne m’aiment pas ». Ces quelques mots résument, à mon avis, toute une situation.

Un jeune Maître d’Equipage regrette souvent dans une chasse difficile, en forlongé, ou dans un change perpétuel, de ne pas posséder « le grand chien », le seigneur qui sortira l’équipage de toutes les difficultés et redressera une situation que l’on croyait désespérée ! Un tel chien est, bien sûr, inestimable ; j’en ai eu trois ou quatre dans ma vie. Un des plus célèbres dans les annales de la vènerie est certainement le fameux « Ténébro » ayant appartenu au Comte de Saint-Seine.

Le chien exceptionnel ayant quelquefois du génie rend d’immenses services, mais il est souvent difficile à rallier, a généralement plus de train que les autres et les domine tellement qu’on passe son temps à le chercher, à vouloir voir ce qu’il fait et si, par malheur, il reste au chenil pour une raison quelconque, on croit que tout est perdu.

ll faut essayer d’avoir une bonne meute moyenne en réformant judicieusement, car un bon ensemble, d’un même train criant et chasseur, où tous travaillent, arrivera plus régulièrement à I’hallali.

Je terminerai cette étude en parlant de la « curée ».

La « curée », quel curieux état d’esprit pour une meute ! Evidemment, des chiens en « curée » veulent avant tout prendre et presqu’aucun obstacle ne les arrête. Plus ils sont fatigués, plus il y a de difficulté, plus ils chargent et plus ils se donnent de mal pour arriver à l’hallali. Ces chiens-là sont optimistes, sont sûrs d’eux et sont convaincus qu’ils vont réussir.

Un jeune veneur demande un jour à un Maître d’Equipage chevronné : « Comment faire pour prendre ? ». La réponse fut immédiate : « Pour prendre, il faut d’abord prendre ». Comme cette lapalissade est vraie !

Dans mes pénibles débuts de veneur, alors que je chassais n’importe quel animal, je me suis rendu compte combien tous étaient difficiles à forcer régulièrement. Une meute peut, comme son Maître, arriver à être totalement découragée, mais au bout de mois et même d’années, lorsque la réussite arrive, le moral remonte en flèche et ce qui paraissait impossible devient presque facile. On se demande comment on pouvait manquer ! A ce point de perfection, les chiens chargent et évitent le forlongé ; ils crient gaiement dans les hardes ou dans les changes fréquents. Je ne sais s’ils sont « convaincus », mais quand on arrive dans un fourmillement d’animaux et que, de désespoir, on ferme les yeux, quel indicible bonheur si, dans un récri joyeux, vous voyez que tous vos petits valets ont bien trié leur animal !

J’ai dit, je crois, à peu près toutes les qualités qu’un chien devrait avoir et les défauts qu’il vaudrait mieux qu’il n’eût pas.

ll est bien évident qu’une meute ne peut se composer que de sujets excellents et il faut être déjà très heureux s’il y a un bon ensemble.

Pour les qualités et les défauts des chiens, l’influence bonne ou mauvaise de l’homme est déterminante dans la formation de la meute, ce point est capital. J’en ai connu une excellente qui est devenue mauvaise quand elle a changé de propriétaire et j’ai vu aussi le contraire.

Si dans l’action de la chasse on doute, il vaut mieux s’abstenir et laisser faire, car souvent, par un acte intempestif, on commet la faute la plus grave qui soit, tromper ses chiens et les faire douter de leur Maître.

Ma conviction profonde est que, presque toujours, lorsqu’on manque un animal par bon temps, c’est de la faute de l’homme. Si l’on savait laisser faire ou n’intervenir qu’à bon escient… !

Dans cette étude très sommaire, j’ai simplement envisagé les qualités ou défauts qui sont, je crois, les plus fréquents, mais il faut, pour bien connaître ses chiens, vivre avec eux au chenil et les faire chasser afin de les comprendre, les sentir et tâcher de définir toutes les inconnues dans leur comportement.

Jean de ROUALLE