PEER GUNT Cheval de Chasse
Je suis né dans un pré de Normandie, au printemps 1960, de parents trotteurs.
J’étais donc destiné à la compétition, mais les champs de course n’ont pas voulu de moi, trouvant mes allures et ma vitesse insuffisantes.
C’est ainsi qu’en 1964, je me suis retrouvé dans l’Oise, au chenil de chasse à courre de Montaby, près de Senlis.
En débarquant du camion, je fus accueilli par un bruit infernal : 100 chiens hurlant derrière un treillage. Je dressai les oreilles mais ne fus pas effrayé. (Ces braves toutous devaient devenir mes amis…).
Des hommes en tablier bleu m’attendaient en bas du camion. Ils m’observaient sous toutes les coutures, me tripotèrent de partout en faisant des commentaires sur mon physique.
Au bout de dix minutes un des hommes, (le plus âgé qui semblait être le chef), appela le plus jeune en lui disant :
« Voilà ton premier cheval, tu tacheras d’en faire bon usage. » Le « gringalet » me prit par le licol et m’emmena vers l’écurie. J’y découvris six autres chevaux qui m’accueillirent en hennissant. Mon nouveau maître me conduisit vers un endroit que l’on appelle stalle, et m’attacha. Moi qui n’ai jamais pu supporter cela !
Mon maître parti, je passai aussitôt le licol par dessus les oreilles et je partis dire bonjour à mes nouveaux copains. Bien entendu, nous faisions trop de bruit et les hommes arrivèrent en vitesse pour me rattacher. Tout en m’étranglant à moitié, ils me menacèrent en me promettant une volée en cas de récidive. (Je devais rester dans cet endroit jusqu’en 1972, à parcourir toutes les forêts de l’Oise au derrière des chiens et des cerfs.)
Au début il me fallut apprendre à sauter des talus, des arbres, passer des rivières. Mon maître manipulait une grande lanière qui me fit très peur la première fois. Mais je compris très vite que cet objet qui claquait près de mes oreilles, était destiné à arrêter les chiens.
Ma deuxième frayeur fut le jour où mon maître, qui portait sur le dos un objet jaune, se mit à faire un bruit épouvantable ! C’était sa trompe de chasse. Ma peur passée, je trouvai au contraire les sons de cet instrument assez excitants.
Après trois mois d’entraînement, un jour les chiens qui avaient l’habitude de nous suivre furent lâchés dans la forêt. J’entends encore le bruit qu’ils firent en rentrant dans le sous-bois… C’était en septembre à Vallière. Mon maître me lança à leur suite et je compris bientôt pourquoi les chiens criaient si fort. Ils couraient derrière un animal magnifique, que mon maître appela " Cerf dix cors ". Il prit d’ailleurs son objet jaune, pardon, sa trompe, et fit du bruit avec. Puis il se mit à hurler. Je croyais que cela m’était destiné, mais non, c’était pour encourager les chiens, il parait.
Nous avons couru mon maître et moi, (moi surtout), pendant trois heures et puis nous sommes arrivés à un endroit immense où il n’y avait que de l’eau, un étang cela s’appelle. Le cerf se trouvait là, au milieu des chiens, qui criaient encore plus fort. Mon maître descendit de mon dos, m’attacha à un arbre, sorti un objet long et pointu qu’il portait à son côté, et s’avança dans l’eau pour rejoindre le cerf et les chiens. Bientôt les chiens se turent et je ne vis plus le cerf. J’appris que mon maître l’avait tué. Je venais d’assister à mon premier hallali.
ll y en eut beaucoup d’autres… ll m’en arriva des aventures au cours des chasses que mon maître me fit faire…
Un jour, en forêt de Chantilly, la meute chassait un petit cerf, deuxième tête, il parait. Celui-ci, poussé par les chiens sortit sur le champ de course de Chantilly. Mon maître me lança à sa poursuite. Nous le ratrapâmes très vite. Le cerf se retourna et m’enfonça son bois dans une fesse ! Sous le choc, le bois se cassa. Tout cela se passa au plein galop, sur la piste, devant les tribunes. Mon maître m’encouragea de la voix pour aller plus vite (il est drôle lui !…). Arrivés à la hauteur du cerf, il lui sauta sur le dos le saisissant par le bois qui lui restait. Tous les deux roulèrent sur le gazon. Seul, mon maître se releva, il avait servi son cerf, en un éclair ! Moi j’en profitai pour aller un peu plus loin savourer cette herbe succulente qu’est la piste du Jockey-Club et qui me faisait oublier ma blessure profonde de 10 bons centimètres. Je fus interdit de chasse pendant quinze jours.
Les années passèrent, puis un jour, on me prépara ainsi que mes compagnons d’écurie pour un long voyage. C’était en 1972.
J’appris que je ne galoperai plus dans les allées sablonneuses des forêts de l’Oise car mon maître et tout l’Equipage partaient dans une autre région : la Nièvre.
Les forêts n’étaient pas les mêmes. Plus belles, mais le terrain plus dur pour mes jambes de 12 ans… Pendant neuf saisons encore je fis le bonheur de mon maître qui était très gentil avec moi, faisant attention où je passais pour ne pas me blesser. Et puis l’été il m’emmenait avec les chiens dans toute la France pour animer des manifestations.
…Après avoir couché à Lyon chez des amis à mon maître, et comme nous étions en avance, il décida de nous arrêter au bord de la route, le long des plages de Narbonne pour nous rafraîchir. C’est ainsi que je découvris un immense lac que mon maître appela la mer. Les chiens se précipitèrent dedans pour boire. Je vis qu’ils faisaient une drôle de bobine. A mon tour, j’y trempais les lèvres. La gorge se mit à me brûler, l’eau était salée… Nous n’avons pas pu nous désaltérer mais pendant une heure nous nous sommes baignés. Mon maître nous fit nager très loin, les chiens qui m’entouraient jouaient avec moi et me tiraient par la queue. Nous étions fous de joie. Vers 18 heures, nous arrivâmes à Carcassonne où pendant trois jours une foule considérable vint nous admirer.
Les saisons défilaient, j’en étais à ma 17e année de chasse avec comme seul maître et ami celui que tout le monde appelait Pierrot.
J’avais 21 ans, et mes jambes me trahirent. Mon maître ne m’envoya pas à la boucherie, comme bien d’autres auraient fait. ll m’offrit une vieillesse heureuse en me conduisant dans une propriété où je fais le bonheur des enfants.
Merci Pierrot de m’avoir donné tant de joies pendant toutes ces années, et de m’avoir traité avec autant d’amour. Je souhaite à tout cheval d’avoir une vie comme fut la mienne.
PEER GUNT
Messages
1. 83-84 : Pierre Berthier sur son cheval Peer Gunt, 29 janvier 2018, 18:43, par BERGER
Bravo à vous Monsieur BERTHIER pour cet article rempli de sensibilité et de reconnaissance pour le cheval (si rare de nos jours).
Je vous ai connu il y a fort longtemps mais je savais par mon papa que vous étiez dans la Nièvre. Mon père était un grand homme de cheval qui s’appelait Francisque BERGER de Charolles et qui recevait tous les veneurs en particulier le Comte de La Roche Aymond qui achetait des chevaux pour un de ses amis dont le nom ne me revient pas. Quel dommage.
Bien respectueusement à vous. M. Agnès BERGER