Les moyens d’une politique d’aménagement de la faune (Nièvre 1968 - 1980)
1968 : année des adjudications en forêts domaniales
Au cours de l’été 1968, le Marquis de Roüalle (père du Maître d’Equipage actuel) me fait visiter la forêt domaniale des Bertranges… et c’est le coup de foudre ! Sur des milliers d’hectares, des futaies de chênes centenaires défilaient sous mes yeux émerveillés.
Je voyais cette forêt de feuillus, au sol si riche, abriter sans problèmes de nombreux cervidés.
Malheureusement, à cette époque, ils ne sont qu’une vingtaine d’animaux à peupler les 10 000 hectares de ce massif forestier.
Les animaux avaient été lâchés en 1957 à l’initiative de la Fédération des Chasseurs de la Nièvre.
Nous devons surmonter un obstacle de taille : cette forêt n’a jamais été louée à courre !
Après bien des démarches, M. de Roüalle obtient sa location.
Dans l’hiver de cette année 1968, nous lâchons 20 cerfs et biches issus de Chambord et de "La Petite Pierre". Ces lâchers sont effectués en accord avec :
- l’O.N.F.,
- la Fédération des Chasseurs de la Nièvre,
- les différentes sociétés de chasse à tir.
Deux mâles sont d’ailleurs attribués, à tir, ce même hiver.
Parallèlement, le Marquis de Roüalle décide d’effectuer d’autres lâchers dans sa propriété familiale située près de Moulins-Engibert, dans le Morvan.
Si les Bertranges ne posaient pas de problèmes pour l’implantation des cerfs, il n’en était pas de même pour les bois entourant Moulins-Engilbert. Ces bois, ou plutôt boqueteaux, sont situés dans les contreforts du Morvan et sont tous privés.
La chasse à tir était la seule pratiquée.
Nous devions également faire face à une autre inconnue : les cerfs se plairaient-ils dans ces bois ? De mémoire d’homme, il n’y en avait jamais eu.
En accord avec les propriétaires locaux, le Marquis de Roüalle crée deux parcs où sont lâchés :
- 3 cerfs (1 hongrois, 1 autrichien, 1 allemand)
- 20 biches issues de Chambord, de La Petite Pierre, d’Allemagne, de la forêt d’Ermenonville (où nous obtenons l’autorisation de reprendre les biches attribuées au plan de chasse).
Le 15 novembre 1969, j’utilise un fusil hypodermique pour reprendre la première biche, que je connaissais, infirme d’un pied, mais toujours vivante en 1981.
Dans le même temps, nous lâchons 10 cerfs et biches, dans les bois de Raie appartenant au Maître d’Equipage.
Les chasseurs à tir acceptent de ne pas les chasser pour leur permettre de s’implanter dans ces bois.
La même année nous prenons notre premier cerf en Bertranges : un cerf dix cors pris en 5 heures.
Dans cet hiver 1969-1970, nos lâchers se poursuivent :
- 9 animaux provenant de parcs pour les Bertranges,
- 10 animaux provenant de l’Oise et de Chambord pour Moulins-Engilbert,
- 2 cerfs autrichiens sont achetés et lâchés dans le parc du Marquis de Roüalle.
Depuis cette époque nous effectuons régulièrement nos lâchers dans les deux endroits.
En 1970, nous prenons notre premier cerf à Moulins-Engilbert.
Nous constatons que les animaux n’ont pas bougé des bois où nous les avions lâchés, grâce à l’affouragement intensivement pratiqué : plus de 100 tonnes de betteraves sont distribuées à proximité des parcs.
Au cours de l’hiver 1970-1971, nous lâchons les produits des parcs :
- 16 faons (sur 20 biches) en 1970,
- 18 faons en 1971.
Ces animaux sont répartis : moitié en Bertranges, moitié autour des parcs de Moulins-Engilbert.
En février 1971, l’Equipage effectue un déplacement d’un mois dans la Nièvre. ll prend :
- 2 cerfs en Bertranges,
- 2 cerfs à Moulins-Engilbert.
En février 1972, déplacement identique :
- 3 cerfs sont pris en Bertranges,
- 4 à Moulins-Engilbert.
Dans le même temps, 9 cerfs et biches étaient attribués à tir en Bertranges (nous les remplaçons par les jeunes faons provenant des parcs).
Au printemps, nous pouvons constater que le cheptel atteint près de 80 animaux malgré le prélèvement, grâce aux lâchers. Nous devons également noter que tous les chasseurs respectent ces animaux et ne tirent que leurs attributions.
A Moulins-Engilbert, le cheptel compte en cette année 1972 une quarantaine de têtes. C’est à cette époque que le Marquis de Roüalle décide de quitter les forêts de l’Oise, pour s’installer définitivement dans la Nièvre, dans sa propriété de Boux.
ll me confie, en tant que premier piqueur, la destinée du Rallye Pique-Avant Nivernais.
Au printemps 1972, nous lâchons 8 cerfs 3e et 4e tête (issus de Chambord) dans les bois de Moulins-Engilbert.
Nous réalisons, parallèlement, l’implantation des clôtures électriques en bordure des Bertranges, pour protéger les récoltes des cultivateurs. Personne ne croit en leur efficacité, donc nous devons faire ce travail nous-mêmes. Et pourtant, force est de constater, un an après, que 80 % des dégâts ont diminué grâce à ces clôtures.
De ce fait, le plan de chasse reste raisonnable.
Au cours de la saison 1972-1973, l’Equipage prend 19 cerfs :
- 8 en Bertranges,
- 11 à Moulins-Engilbert (ils seront remplacés par les produits des parcs).
En forêt des Bertranges, la prise des animaux ainsi que le plan de chasse sont en progression constante, mais l’un comme l’autre ne nuisent en aucun point au cheptel qui s’intensifie d’année en année. Grâce aux origines différentes des animaux nous obtenons de très beaux trophées.
En 1975, le plan de chasse est le suivant :
- en Bertranges : 15 cerfs à courre, 9 biches à tir (nous les donnons aux différents lots de la forêt) ;
- à Moulins-Engilbert : 2 biches à tir.
Nous constatons que le cheptel atteint la centaine et que les animaux s’écartent progressivement dans les bois environnants.
En 1976, le chenil quitte Moulins-Engilbert pour venir s’installer au cœur de la Forêt des Bertranges dans une maison forestière désaffectée : La Grande Mare.
Au cours de l’hiver 1976-1977, nous chassons plus régulièrement en Bertranges. Nous avons 18 cerfs à prendre.
D’année en année le plan de chasse s’intensifie pour atteindre 64 attributions en 1980.
A l’heure actuelle, nous pensons que 230 animaux peuplent le massif forestier. Durant notre saison 1980-1981 nous avons pris deux cerfs magnifiques. Les trophées sont en cours d’homologation.
Les animaux qui, durant des années, se cantonnaient dans un secteur déterminé de la forêt, habitent maintenant tout le territoire de chasse. Ceci pour trois raisons :
1. installation de 27 km de clôtures électriques sur le secteur nord de la forêt où ils avaient coutume de sortir.
2. Affouragement en betteraves dans le nord de la forêt (plus de 120 tonnes distribuées cet hiver avec l’accord de l’O.N.F.).
3. Peu ou pas d’attaque dans ce secteur de la forêt pour ne pas déranger les biches.
De son côté l’Office des Forêts n’attribue pas de biche dans ce même secteur. Nous envisageons d’ailleurs l’implantation d’un parc en prélevant des biches dans le secteur nord, toujours en accord avec l’O.N.F.
Les produits seraient lâchés chaque année autour du parc pour permettre un étalement du cheptel sur tout le territoire.
L’impossible pari que nous avions engagé en 1968 a dépassé toutes nos espérances, tant en Bertranges qu’à Moulins-Engilbert.
La vénerie, détractée par tous avant 1968, est non seulement acceptée mais défendue par ceux qui la haïssaient !!! Notre implantation dans la Nièvre et surtout sa réussite n’auraient pu se réaliser sans la collaboration des pouvoirs publics, sans notre politique, et surtout sans le respect des chasseurs à tir.
N’est-il pas rare de voir au cours des chasses se côtoyer, veneurs, écologistes, cultivateurs, chasseurs à tir ?
Cette ambiance exceptionnelle n’est due qu’à notre politique sur la chasse. ll nous aurait suffi d’empêcher les chasseurs de tirer leurs animaux pour que le cheptel ne soit pas ce qu’il est.
Mon plus grand souhait est de voir longtemps encore de grands cerfs brâmer sous ces magnifiques futaies… grands cerfs dix cors que j’ai pour la plupart portés dans mes bras…
Pierre Berthier,
Piqueur du Rallye Pique-Avant Nivernais.